L’émigration clandestine ou irrégulière continue d’être un fléau marquant en Afrique, et en Afrique de l’Ouest en l’occurrence. Les côtes espagnoles ou italiennes (dans une moindre mesure) reçoivent des embarcations de fortune quotidiennement. Si le phénomène s’estompe à certains moments de l’année, depuis le début des années 2000, il est réellement devenu le cauchemar des autorités étatiques, au Sénégal en l’occurrence, où malgré les plans d’urgence et les mesures de lutte, les candidats à l’Europe via l’Atlantique ne cessent de multiplier. Pour les nouvelles autorités du Sénégal, venues au pouvoir en mars 2024 avec beaucoup d’espoir placé en eux, le défi est de renverser la courbe, notamment en annihilant les multiples causes de l’émigration clandestine. Mais l’analyse de ce phénomène suppose aussi l’analyse des profils des candidats à l’émigration, avant le mobile.
Les Causes et Les Profils Des Voyageurs Clandestins
L’émigration se justifie souvent par plusieurs causes liées entre autres à une situation économique, politique ou environnementale précaire. La pauvreté, les conflits armés, les guerres majeure en Afrique en l’occurrence, et plus récemment, les impacts des changements climatiques, poussent de plus en plus de gens à vouloir quitter leurs terres africaines. L’option des embarcations de fortune pour rallier l’Europe est choisie conséquemment aux difficultés de l’émigration régulière, avec des politiques européennes de plus en plus hostiles à l’accueil des étrangers. Tous les candidats à l’émigration aussi ne sont pas toujours des profils qualifiés pour espérer avoir accès plus facilement aux visas.
Au Sénégal, les profils des voyageurs clandestins sont multiples. "La plupart des gens qui prennent la mer ce sont des pêcheurs ou des familles de pêcheurs", explique Alioune Tine fondateur du Think Tank Afrikajom Center, au média TV5 Monde. Et d'ajouter : "Mais vous avez de tout. Des étudiants, des commerçants, des gens qui vendent leur boutique, leur commerce. Ça a dépassé le stade de la migration. C'est un véritable exode vers l'Europe et vers les États-Unis." Les pêcheurs ont été pour la plupart poussés vers l’exode à cause de la rareté de plus en plus remarquée du poisson. Ils indexent souvent la pêche irrégulière des navires étrangers et les contrats de pêche signés avec l’Union Européenne, la Chine entre autres, par le Sénégal sous les régimes de Macky Sall et d’Abdoulaye Wade. « Les pêcheurs sénégalais sont venus me voir pour me dire qu'aujourd'hui la ressource est rare. Ils n'ont plus possibilité d'y accéder. Alors que des navires étrangers viennent piller toute la ressource », explique Alioune Tine. "Ce n'est plus comme il y a 10 ou 15 ans," surenchérit Babacar Ndiaye, chercheur au Think Tank WATHI. Il rappelle que les étrangers "ont de gros bateaux. Donc les pirogues de fortune ne peuvent pas rivaliser avec ces bateaux déployés par les Chinois ou par l'Union européenne." Et de conclure : "Aujourd'hui, la pêche ne nourrit plus son homme".
Le Chômage
Le manque d’emplois aussi constitue l’une des causes majeures qui poussent les jeunes à aller espérer un avenir meilleur en Europe. Plus de 300.000 jeunes sénégalais arrivent chaque année sur le marché du travail et le taux de chômage est passé d’environ 10% en 2012 à 24% en 2023 selon les statistiques de l’ANSD. Les secteurs industriels et agricoles ne sont pas encore assez boostés pour capter le nombre de jeunes à la recherche d’emplois.
Il existe aussi des causes sociales. Certains jeunes passés par les embarcations de fortune, ont pu réussir à rallier l’Europe et à changer fondamentalement la vie de leurs familles au Sénégal. Ce « success story » est souvent un élément de pression que certaines familles peuvent mettre sur leurs jeunes enfants pour les encourager à prendre les bateaux et imiter leurs « voisins ».
En outre, aujourd’hui, l’Europe n’est plus la seule destination majeure des jeunes sénégalais candidats à l’immigration. Depuis un à deux ans, la route du Nicaragua pour rentrer aux Etats-Unis est devenu l’une des nouvelles routes de l’émigration irrégulière pour les jeunes sénégalais. Plus de 9 000 Sénégalais ont été arrêtés alors qu'ils franchissaient la frontière de l'Arizona entre le 1er octobre et le 9 décembre 2023(Africanews)
Les Solutions de Diomaye et Sonko
Pour remédier à ce fléau qui fait des milliers de morts sénégalais dans l’Atlantique, des mesures structurelles et endogènes sont prisées par le duo à la tête du pays. La sensibilisation et la surveillance des points de départ sont de mise, mais pour maintenir les jeunes aux pays, il faut des mesures économiques structurelles. « Un énième naufrage s'est passé au large de nos côtes et qui aurait coûté, en attendant d'avoir les chiffres exacts, la vie à beaucoup de jeunes. Je lance encore un appel à cette jeunesse, votre solution ne se trouve pas dans les bureaux, les pays que certains jeunes veulent aller rejoindre, je peux vous assurer qu'ils sont eux-mêmes en crise, soit en début de crise ! L'avenir du monde se trouve en Afrique et vous devez en être conscient, vous les jeunes. Le seul continent qui a encore une marge de progression et de croissance importante, le seul continent qui devrait porter la croissance du monde dans les 50 prochaines années. Ce continent, c'est l'Afrique, » avait lancé le Premier Ministre Ousmane Sonko devant les étudiants de l’Université Gaston Berger en juillet dernier. Soutenu par une forte frange de la jeunesse dans son clash contre le régime de Macky Sall, avec plus de 80 jeunes tués lors de manifestations, Ousmane Sonko a fait de leur situation ainsi que de la création d’emplois l’une de ses priorités absolues. Son gouvernement s’est déjà mis en ordre de bataille pour ramener les jeunes dans les secteurs primaire et secondaire, avec des mesures en corrélation avec la doctrine de souveraineté alimentaire devenue le leitmotiv des nouvelles autorités.
En date du 6 mai 2024, la Ministre des Pêches, des infrastructures maritimes et portuaires, Dr Fatou Diouf, a rendu publique la liste des bateaux autorisés à pêcher dans les eaux sous juridiction sénégalaise. Ceci, afin de mieux contrôler la pêche irrégulière. D’autres mesures visant à protéger la pêche artisanale sont aussi en gestation selon le gouvernement. Le Président Bassirou Diomaye Faye et son premier ministre entendent aussi booster l’agriculture, non seulement pour la souveraineté alimentaire, mais aussi pour créer suffisamment d’emplois. Dans cette perspective, la création d’une trentaine de pôles agricoles est à l’étude. L’industrie quasi inexistante dans le pays et qui peut être le secteur le plus créateur d’emploi, est un pilier sur lequel entend s’appuyer l’administration Sonko.
Le ministre du commerce et de l’Industrie Dr. Serigne Gueye Diop a exprimé son souhait de faire du Sénégal un pays industriel majeur. La transformation des produits agricoles, l’industrialisation dans l’élevage et surtout la transformation des ressources minières dans le pays, devraient permettre, en plus du démarrage de l’exploitation du pétrole et du gaz, de relancer considéralement le secteur secondaire sénégalais et de pouvoir créer assez d’emplois pour les jeunes sénégalais.
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